Cancer(s) de la peau, une urgence ?
Le 10 mai 2023, la France et les pays les plus avancés en oncologie ont lancé un “G7 du cancer” pour unir leur force dans la lutte contre cette maladie chronique. Si le focus est fait sur les cancers dits “de mauvais pronostic” (pancréas, foie, œsophage, estomac), cette initiative témoigne de la préoccupation grandissante des états vis-à-vis de tous les types de cancers. Qu’en est-il plus particulièrement du cancer de la peau, qui désigne une prolifération incontrôlée et anormale des cellules de la peau ?
Le cancer de la peau, une nouvelle mode ?
80 000 cancers de la peau sont diagnostiqués chaque année en France, soit plus de 200 cas par jour. Et ce chiffre ne fait qu’augmenter : il devrait doubler d’ici les dix prochaines années.
Cette augmentation récente s’explique par les changements de comportement de la population, qui a tendance à s’exposer plus souvent et plus longtemps au soleil, notamment durant l’enfance, et à utiliser davantage les ultraviolets artificiels (cabines de bronzage, lampes UV “à ongles”…).
Pour autant, tous les cancers de la peau n’ont pas la même incidence. 30% des cancers peuvent métastaser, qu’il s’agisse des mélanomes (forme la plus redoutable du cancer cutané qui représentent 10% des cancers cutanés) ou des carcinomes épidermoïdes.
La détection précoce des cancers, une arme redoutable mais rare
D’après Santé Publique France, 90% des cancers de la peau peuvent être guéris s’ils sont détectés tôt. Un diagnostic anticipé et une bonne prévention sont essentiels dans le parcours de soin des éventuels patients, puisqu’ils permettront de détruire rapidement les cellules cancéreuses, et donc d’éviter des propagations des cellules cancéreuses ou le développement de métastases. Or, seuls les dermatologues sont habilités à diagnostiquer le cancer aujourd’hui, alors qu’ils sont de moins en moins nombreux avec 3752 dermatologues exerçant en France en 2022. Et comme de beaucoup de professionnels de santé, ils seront plus de la moitié à partir à la retraite dans les 10 prochaines années (âge moyen de 50 ans).
Quelle solution face à cette pénurie de spécialistes ? Faut-il recruter davantage de dermatologues, former les médecins généralistes ou alors développer des solutions innovantes pour accélérer et améliorer le diagnostic des cancers de la peau ? La solution est évidemment double.
Le développement des startups de détection du cancer de la peau
Face au double enjeu d’augmentation du nombre de cancers et de baisse de dermatologues, l’arrivée de nouvelles générations de médecins semble insuffisante au regard des enjeux de remplacement liés aux départs en retraite : 94 internes de dermatologie seulement ont été formés en France en 2020 malgré les revendications de l’association Futurs dermatologues-vénéréologues de France (FDVF).
De nouvelles solutions, développées par des startups, émergent pour compenser ce manque de spécialistes et permettre une détection plus rapide, plus facile, voire plus fiable des cancers de la peau.
Certaines startups ont préféré se lancer côté grand public, permettant à chaque patient d’être maître de sa santé cutanée et de ne plus dépendre des longs délais d’attente des dermatologues. A contrario, une autre partie des startups s’est concentrée sur la mise à disposition d’outils à destination des professionnels de santé non spécialistes (médecins généralistes, infirmiers, pharmaciens…) pour leur permettre d’agir dans la détection ou le soin.
Le direct consumer, un accompagnement nécessaire mais limité
Les startups qui développent des solutions de surveillance de la peau en direct consumer (B2C) le font sous plusieurs modèles : 100% digitale, phygitale ou basé sur un dispositif médical.
Ainsi, certaines se basent uniquement sur le smartphone comme Skinvision, startup hollandaise créée en 2011, qui permet au patient de prendre en photo sa peau, et de recevoir un score de risque, ainsi que des conseils personnalisés. Google a aussi pris ce parti avec son application Derm Assist, développée en 2021, capable d’identifier près de 300 problèmes de peau à partir d’une simple photo.
Des startups comme Skindr développent des applications avec cette même fonctionnalité de prise de photo, mais y ajoutent des conseils en asynchrone, ou une téléconsultation avec des dermatologues pour avoir un avis plus détaillé. Sur Skindr, grâce à une photo de leur peau prise directement sur l’application, les patients peuvent obtenir un diagnostic à distance de dermatologues avec éventuellement un traitement temporaire en attendant une consultation physique.
Enfin, autre possibilité pour détecter le cancer de la peau à la maison : l’utilisation d’un dispositif médical qui analyse les grains de beauté comme le fait la startup singapourienne Nota Mole.
Ces applications permettent un pré-diagnostic qui permet d’orienter efficacement et rapidement le patient dermatologique. Les patients les plus motivés pour utiliser ce genre d’applications sont souvent les patients les plus à risque, qui nécessiteront donc in fine une prise en charge par un dermatologue. Par ailleurs, ces solutions sont encore aujourd’hui non remboursées. L’impact social s’en trouve limité puisque les patients sans moyens pourraient renoncer à utiliser ce type de solutions onéreuses et retarderont ainsi leur diagnostic.
Les startups B2B, une réponse complète à un problème systémique en santé
Les solutions à destination des professionnels de santé peuvent être un bon compromis, si elles adressent les professionnels de santé de première ligne non spécialistes de la dermatologie. Elles permettront une détection précoce chez des patients dans le cadre de consultations de médecine générale, et désengorgeront les cabinets des dermatologues des cas mineurs.
Sur ce positionnement, on peut citer la startup nantaise Huvy, dont l’application destinée aux médecins et pharmaciens, et basée sur de l’IA, permet à partir de photos d’identifier un risque cancéreux.
Quand elles s’adressent directement aux dermatologues, les startups ont pour objectif de rendre leur diagnostic plus fiable, et surtout plus rapide. C’est le cas de Damae Medical, qui a levé 5 millions d’euros en série A en 2021 et qui propose une visualisation cellulaire des tissus profonds de la peau faite grâce à un microscope qui s’utilise directement sur la peau (marqué CE en 2020). Square Mind, quant à elle, réalise des scans dermoscopiques complets au moyen d’un bras robotisé, qui navigue autour du patient pendant 2 minutes pour proposer une cartographie de l’ensemble de la peau, et comparer automatiquement les évolutions des anomalies.
Le vrai enjeu de ces solutions est d’arriver à créer un ROI suffisant pour le professionnel de santé, le cas échéant avec l’intégration de ces outils dans les actes remboursés. La solution idéale serait une solution basée sur une IA entrainée sur une base très conséquente d’images, qui permette aux professionnels une détection plus rapide, plus fiable, et un suivi en continu de la peau du patient pour ainsi voir l’évolution de ses grains de beauté, marques, boutons… Par ailleurs, l’implication de professionnels de 1ère ligne nécessitera de créer de vrais parcours patients pour réorienter le patient vers un dermatologue disponible rapidement en cas de besoin ou organiser son suivi.
La route est donc encore longue pour qu’un patient soit pris en charge efficacement et rapidement en cas de problèmes de peau, mais l’innovation actuelle laisse à penser que d’ici les prochaines années, un cancer pourra être détecté en 2 minutes, voire même 20 secondes.
Cet article a été produit dans le cadre de l’activité du fonds Mutuelles Impact, fonds créé à l’initiative de la Mutualité Française, géré par XAnge et conseillé par Investir&+.
Le fonds Mutuelles Impact est le premier fonds d’investissement à impact social et environnemental dédié à la santé et au médico-social.
Si vous voulez en savoir plus, contactez Julien Vianey-Liaud (julien@xange.vc)